Première analyse du projet de loi « retraite » à l’Assemblée nationale
Première analyse du projet de loi « retraite » à l’Assemblée nationale
L’examen du projet de loi sur les retraites s’est achevé le mercredi 15 septembre à l’Assemblée nationale. Le moins que l’on puisse dire est que la majorité n’en sort pas grandie. Ce n’est pas la gestion des dernières heures de débat qui changera cette appréciation. Les députés pouvaient disposer, selon un règlement voté par la majorité elle-même, d’un temps de parole pour expliquer leur vote. Le Président de l’Assemblée nationale a décidé de les priver de cette possibilité pour honorer les directives de l’Elysée qui étaient de conclure coûte que coûte ce mercredi 15 septembre. Le résultat du vote des députés figure à la fin de cette note.
Une première analyse du texte montre que peu de choses ont réellement changé. Sur les mesures phares, c’est-à-dire les âges légaux et l’allongement de la durée de cotisation, les députés ont respecté à la lettre les consignes de l’Elysée, et le texte ressort quasi-inchangé. Pour le reste, ce qui peut donc être considéré comme des avancées se résume à quelques points qui n’ont qu’une portée très limitée.
Concernant la pénibilité, le texte mêle mesures en trompe l’œil et remises en causes potentielles. Sur l’épargne retraite, on voit bien que le texte a vocation à développer la capitalisation.
Voici, titre par titre, les points qui ont évolué depuis le texte du 23 juillet, présenté le 7 septembre par la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale.Titre 1er : Dispositions générales
L’article 1er modifié précise désormais : « La Nation réaffirme solennellement le choix de la retraite par répartition au cœur du pacte social qui unit les générations ». Rappelons quand même qu’à l’occasion des réformes passées a toujours été réaffirmé cet attachement à la répartition !
Le 1er chapitre « Pilotage des régimes » est un de ceux qui a été le plus amendé. Les modifications apportées vont dans le bon sens, mais il s’agit pour l’essentiel de bonnes intentions qui n’engagent pas réellement les pouvoirs publics. Exemple : dans la version initiale, il était mentionné dans les attributions du Comité de pilotage qu’il devait veiller « au maintien d’un niveau de vie satisfaisant des retraités ». Il est maintenant indiqué qu’il aura pour mission de veiller « à l’amélioration du niveau de vie des retraités et du niveau des pensions de retraites. »
A noter, au sujet de ce titre et des suivants, que plusieurs amendements adoptés ont porté sur la transmission par le gouvernement de rapports aux parlementaires sur la question des polypensionnés ou bien encore sur « les redéploiement de ressources ou de charges entre régimes de protection sociale… ».
Le chapitre 2 du Titre 1er, qui porte sur la durée d’assurance ou de service et les bonifications n’a fait l’objet d’aucune modification. Cela confirme que le gouvernement, suivi en cela par les députés de la majorité, a bétonné sur le cœur de sa réforme.
Titre 2 : Dispositions applicables à l’ensemble des régimes
On est là toujours dans le dur de la réforme et comme indiqué précédemment, le gouvernement a joué la carte de l’inflexibilité. Ainsi, seulement 5 amendements, très
techniques, ont été adoptés pour cette partie du projet de loi qui porte les points les plus emblématiques de la réforme que sont les mesures d’âges.
Titre 3 : Mesures de rapprochement entre les régimes de retraite
C’est dans ce titre que l’on trouve une des modifications « favorables », à défaut d’être fondamentale. Sur proposition du gouvernement, le départ des fonctionnaires réunissant la double condition 15 ans de service et 3 enfants s’effectuerait dans le cadre des règles actuelles pour ceux qui sont à moins de 5 années de l’âge de départ en retraite de leur corps ou cadre d’emploi. Rappelons que sont maintenues ces mêmes règles pour les fonctionnaires éligibles qui effectueraient leur demande au plus tard le 31 décembre 2010 pour un départ au plus tard le 30 juin 2011.
Second élément, l’accès au régime de retraite des fonctionnaires ne serait plus conditionné par 15 ans de service, mais deux ans. Le gouvernement prétend que cette mesure améliorera la situation des polypensionnés privé/ public ne disposant pas des 15 ans de services. Une première conséquence serait que les salariés concernés n’auraient plus à verser de supplément de cotisations à l’Ircantec. Mais cette modification importante pourrait avoir d’autres conséquences sur le plan statutaire. Elle mérite un examen approfondi.
Titre 4 : pénibilité du parcours professionnel
Les amendements adoptés peuvent amener à considérer qu’une ouverture importante est faite en abaissant à 10 % (fixé par décret) le niveau de l’incapacité requise pour un départ à 60 ans. Mais un examen un peu plus approfondi montre que cette ouverture est associée à des conditions qui pourraient conduire à ce que très peu de salariés, parmi les 15000 potentiellement concernés, bénéficient de la mesure. En effet, il leur faudrait passer devant une commission dont on ne sait pas grand-chose, et faire la preuve que l’exposition à la pénibilité est bien la cause de cette incapacité…
La réforme de la « médecine du travail » est introduite par amendements dans ce titre. Méthode inacceptable qui a empêché le légitime débat sur les transformations nécessaires du système de santé au travail en tant que déterminant d’une politique de santé publique. Cette méthode témoigne d’un profond mépris du monde du travail et en rajoute sur le caractère purement financier de ce projet de loi retraite. En maintenant le pouvoir des employeurs sur les services de santé au travail, avec l’instauration « d’une parité patronale » (le président des services est issu du collège patronal avec voix prépondérante) les quelques avancées, dont certaines sont significatives, se trouvent hypothéquées politiquement et pratiquement.
A noter un sous-amendement qui pourrait sonner le glas des départs anticipés dans le cadre d’accord de branche ou d’entreprise. Le président de la Commission des affaires sociales avait présenté un amendement qui encouragerait, à titre expérimental, les branches à négocier des accords permettant la mise en œuvre « d’allègement ou de compensation de la charge de travail des salariés occupés à des travaux pénibles ». Il y était question « à titre exceptionnel, d’une cessation anticipée d’activité, dans des conditions fixées par l’accord ».
Un sous-amendement du gouvernement a supprimé cette possibilité. Autrement dit, la loi, si elle était adoptée, pourrait se traduire par une régression importante dans les branches ou entreprises où la possibilité d’un départ anticipé est ouverte aux salariés.
Titre 5 : Mesures de solidarité
Les amendements adoptés portent essentiellement sur l’assurance veuvage. Nous avons besoin d’une analyse approfondie pour porter appréciation.
L’égalité Hommes femmes fait l’objet d’un nouvel intitulé et passe sous le titre 5 bis A.
Titre 5 bis : Mesures relatives à l’emploi des seniors.
Pas de modification importante
Titre 5 ter
On retrouve sous ce titre tout ce qui concerne l’épargne retraite. Des amendements, d’origines parlementaire et gouvernementale, visaient au développement de l’épargne retraite. Comme on pouvait s’y attendre, ils ont été adoptés. Ce qui arrive presque à la fin du texte (article 32 dans un texte qui en comporte 33) vient sérieusement infirmer l’article 1er A qui rappelle « le choix de la retraite par répartition au cœur du pacte social qui unit les générations ».
Plusieurs mesures aboutiraient à assouplir les conditions de gestion des Perp (plan d’épargne retraite populaire), et des Perco (Plan d'Epargne Retraite Collectif), à la demande des lobbies assurantiel et bancaires. Elles conduiraient à réduire le contrôle des salariés sur les dispositifs PERP et PERCO. Les accords sur la participation devraient prévoir une affectation des sommes dans un PEE (plan d’épargne d’entreprise ou interentreprises) ainsi que dans un PERCO. Le PERP qui est individuel pourrait venir concurrencer plus directement le PERCO avec l’ouverture d’une possibilité de sortie en capital.
Autres éléments notables, les branches seraient dans l’obligation de négocier d’ici le 31 décembre 2012 la mise en place de PERE (plan d’épargne retraite d’entreprise) ou de PERP et les entreprises seraient tenues d’étendre à tous leurs salariés les dispositifs actuellement réservés à une ou certaines catégories de salariés.
Titre 6 Dispositions finales
Pas de modification importante.
Assemblée Nationale,
Résultat du vote sur l’ensemble du projet de loi de réforme des retraiteNombre de votants : 573
Nombre de suffrages exprimés : 562
Pour l’adoption : 329
Contre l’adoption : 233
Groupe UMP (314 députés) :
Pour : 304 Abstentions : 7 Contre : 0
Les députés abstentionnistes sont : MM. Marc Bernier, François Goulard, Jean-Pierre Grand,
Jacques Le Guen, Mme Marie-Anne Montchamp, MM. Jean Ueberschlag et André Wojciechowski.
Groupe SRC, PS + divers gauche, (204 députés) :
Pour : 0 Abstentions : 0 Contre : 203
Un député du groupe n’a pas pris part au vote.
Groupe GDR, PC + PG + Verts (26 députés) :
Pour : 0 Abstentions : 0 Contre : 26
Groupe Nouveau Centre (25 députés) :
Pour : 25 Abstentions : 0 Contre : 0
Députés Non Inscrits (8 députés) :
Pour : 0 Abstentions : 4 Contre : 4
Les députés abstentionnistes sont : Mme Véronique Besse, MM. Daniel Garrigue, Dominique Souchet et François-Xavier Villain.
A noter, 4 députés de droite ou de centre droit se sont prononcés contre le projet :
MM. Abdoulatifou Aly, François Bayrou, Nicolas Dupont-Aignan et Jean Lassalle.
Deux députés UMP qui n’ont pas pris par au vote, M. Jean-Michel Ferrand, M. Thierry Mariani, ont fait savoir à posteriori qu’ils avaient voulu voter pour ce texte.